Les premières fraternités en Amérique du Nord sont apparues sur les campus universitaires américains en 1700 et ont possiblement été inspirées par la franc-maçonnerie. Au début, ces sociétés secrètes étaient vues d’un mauvais œil par l’administration de l’université et comprenaient souvent des pénalités sévères, voire l’expulsion, pour tout membre. Cependant, vers la fin des années 1800 ces confréries tenaces (et leurs homologues féminins) avaient commencé à s’implanter dans la vie universitaire, établissant des maisons de la fraternité et de la sororité tant sur le campus et à l’extérieur et tenant des événements étudiants. C’est à ce moment que les fraternités et sororités — quelques fois simplement appelées « sociétés grecques » — ont également commencé à voir le jour dans les universités de Toronto et Montréal. Bien que de nombreux autres groupes et chapitres ont été fondés dans l’ensemble du pays au 20e siècle, les premières fraternités et sororités au Canada remontent à cette ère.
Les fraternités et sororités sont un élément essentiel de la vie universitaire aux États-Unis, mais elles ont une présence moins grande et moins officielle de ce côté-ci de la frontière. Il y a de nombreuses raisons pour ceci, dont la notion d’inclusivité et d’égalité qui est au cœur de nombreuses chartes de corps étudiants au Canada. Par exemple, à l’une des plus anciennes universités au Canada, l’administration et le conseil d’étudiants n’ont aucune relation officielle avec les sociétés grecques depuis les années 1960, pour la raison que toutes les organisations étudiantes devraient être « ouvertes à tous les membres de la communauté universitaire sans restriction basée sur l’origine nationale, la race, la religion, la couleur ou le sexe. » Comme ces groupes sont majoritairement unisexes, et quelquefois basés sur la religion, il s’agit d’un problème — et d’un point de discorde fréquent — de nos jours.
Curieusement, la différence dans la popularité des fraternités au Canada et aux États-Unis pourrait également être liée à quelques changements culturels importants des années 1980. Alors qu’Hollywood célébrait la culture des fraternités avec des images de canulars élaborés et de folies alimentées par la bière, le gouvernement des États-Unis a augmenté l’âge légal pour consommer l’alcool à 21 ans, par le fait même rendant l’alcool hors de portée pour la majorité des étudiants du premier cycle. Par conséquent, les fêtes organisées par les fraternités et les sororités étaient l’endroit le plus facile où les étudiants pouvaient boire, ce qui a aidé ces groupes à devenir le centre de la vie sociale universitaire. Au Canada, où la majorité des étudiants pouvaient (et peuvent toujours) commander une boisson dans un bar de leur choix à 18 ou 19 ans, l’attrait des fêtes de fraternités diminue grandement.
Les confréries sont controversées depuis leurs débuts et sont encore critiquées de nos temps. Cependant, les membres parlent avec joie du sentiment d’appartenance qu’ils ressentent, des amitiés qui sont créées, ainsi que des œuvres de bienfaisance et campagnes de financement centrales à plusieurs activités de ces groupes. À l’une des principales universités de Vancouver, le réseau de sociétés grecques œuvre depuis les années 1920 et est composé de dix fraternités et huit sororités, ce qui en fait l’un des plus grands au Canada. Avec plus de 1 500 étudiants du premier cycle, le réseau compte des centaines de meneurs universitaires et athlètes, des milliers d’heures de service communautaire et des dizaines de milliers de dollars collectés pour les œuvres de bienfaisance. Ces groupes, insistent les membres, ne ressemblent en rien à ce que nous voyons dans les films.
Malgré cela, la mauvaise réputation de fêtes arrosées, de rituels d’initiation dangereux et de mauvais comportement général des fraternités persiste. En 2018, en réponse à plus d’une centaine de plaintes à la ville à propos du bruit, des poubelles et d’assauts, le conseil de la ville de Toronto a décidé d’imposer une surveillance plus stricte sur 19 fraternités et sororités situées près du campus du centre-ville d’une université historique. Cette année, une université de Vancouver est allée encore plus loin : en effet elle a banni de façon permanente les événements sociaux ouverts à tous des sociétés grecques, après plusieurs incidents où des personnes avaient été droguées à ces événements.
Que ces incidents soient le résultat de quelques mauvaises influences ou de problèmes systémiques plus graves, ces mesures de répression sur les confréries sont de plus en plus fréquentes, tant ici qu’aux États-Unis. Une université américaine très influente, qui accueille des fraternités depuis au moins les années 1850, a récemment annoncé que les étudiants qui sont membres d’une sororité ou d’une fraternité unisexe seront bannis de postes de direction dans les organisations étudiantes et équipes sportives de l’école et ne pourront pas recevoir certaines bourses étudiantes. Bien que cette décision ait de vastes répercussions, elle ne signifiera pas la vie des sociétés grecques aux États-Unis et au Canada. Ces confréries sont parmi nous depuis plus d’un siècle et ne semblent pas vouloir arrêter sous peu.
Jeremy Freed est un auteur et rédacteur en chef indépendant basé à Toronto. Ses articles sur la mode, les voyages, la cuisine et le stylisme ont été publiés dans de nombreuses revues, notamment Sharp, Harry et re:Porter.